Design urbain et dessein d’un métier

2.     Qu’est-ce que le design urbain ?

« Designing cities without designing buildings » est la formule-clé que Jonathan Barnett a mise en valeur pour définir le design urbain dans les années 1970 [3]. Michel Raynaud en fait aussi référence. Nous sommes néanmoins retournés un peu plus loin dans le passé pour comprendre

Le design urbain est une discipline complexe à définir. Et saisir le design urbain sur le plan sémantique s’avère parfois être une tâche périlleuse. Les termes « design » et « urbain » pourraient suivre la séquence : design, dessin, plan, architecture, et urbain, urbanisme, planification, public, etc. Nous avons discuté avec Michel Raynaud de la dimension polysémique du design urbain.

M. Raynaud insiste sur l’importance de comprendre les origines et les repères historiques. Ses expériences académique et professionnelle de part et d’autre de l’atlantique l’ont amené à s’interroger sur les diverses réalités de la discipline du design urbain. De son point de vue, il est impératif de distinguer les termes design urbain et urban design, qui n’héritent pas des mêmes traditions, selon qu’ils proviennent d’Europe ou d’Amérique du Nord. En France par exemple, on conçoit le projet urbain pour faire élire (tradition de pouvoir politique), aux États-Unis, les interventions sont employées pour faire vendre (tradition de pouvoir économique). 

La discipline du urban design américain est très récente et voit véritablement le jour lors d’une conférence, comme l’explique M. Raynaud : « L’urban design américain naît en 1956 dans une Conférence à l’Université Harvard. Les participants que réunit José Luis Sert à une conférence ne sont pas uniquement avec des architectes. Il va prendre des architectes, des paysagistes, des investisseurs, des planificateurs urbains. Jane Jacobs, qui était journaliste, va faire son premier papier à l’occasion de cette conférence. » 

La compréhension du design urbain est enrichie, sachant d’où proviennent les racines de la discipline : « En s’inventant en Amérique du Nord, le design urbain – ce qu’on appelle aujourd’hui du design urbain est directement issu du design américain – est assez éloigné, dans son paradigme, de ce qu’est le design traditionnel, ce qu’on appelait autrefois la composition urbaine dans l’urbanisme classique et l’architecture classique […] la composition urbaine, jusqu’à la fin du XIXe siècle, est décidée au service des classes dominantes, par la bourgeoisie pour Haussmann par exemple ». 

Dans le contexte actuel, le design urbain se défini notamment par la prise en compte des intérêts et des besoins dans un cadre multidimensionnel : « la compréhension du design urbain c’est ça. Le grand changement c’est ça. Il faut saisir, dépasser le design urbain qui était une valorisation économique. C’est clair pour les villes européennes, qui étaient aussi une « valorisation politique », comme quelque chose de la puissance des villes du maire, du roi, du bourgeois. Aujourd’hui le design urbain est essentiel à la fois pour la qualité de vie des gens et pour le marketing des villes ». 

Par ailleurs, le design urbain doit se réfléchir à travers une scénographie de la vie urbaine: « ce n’est plus seulement la mise en scène d’un pouvoir, d’une gloire nationale, ou d’un développement administratif, mais c’est la mise en scène de la vie quotidienne, de la sécurité, du confort, de l’écologie. »

Michel Raynaud a souligné la réalisation de différents projets de design urbain des dernières années au Québec. Le projet emblématique est celui du Quartier international de Montréal (QIM), achevé en 2004. Pour M. Raynaud, ce projet a eu un impact dans la façon de définir la discipline du design urbain. D’ailleurs, le projet reflète la réalité du contexte politique, économique et culturel de la mise en œuvre du projet en Amérique du Nord. D’une part, la commande provient du secteur privé, plus spécifiquement des propriétaires des bâtiments érigés dans le périmètre de ce secteur : « Le déclencheur, c’est le Quartier international de Montréal, qui va être le premier grand coup pour faire travailler tout l’espace public, fabriquer une place (Place Jean-Paul Riopelle), réaménager la Place Victoria, compléter le Montréal souterrain et le stationnement souterrain ». 

quartier international de Montréal (QIM)
Le quartier international de Montréal (QIM) revitalisé par l’agence Daoust Lestage.[4]

D’autre part, ce projet d’infrastructure a fait intervenir tous les paliers gouvernementaux. Conçu par la firme Daoust Lestage, il est qualifié comme étant l’intervention la plus importante du Montréal métropolitain (Dunton et Malkin 2008). Une grande part de projets de design urbain est initié sur l’espace privé et empiète sur l’espace public.

Des contre-exemples, il y en a. Dans l’arrondissement Sud-Ouest à Montréal par exemple, un projet majeur a été géré par un promoteur qui a bâti des tours à condos : « À Griffintown, il y a des centaines de logements et il n’y a même pas un endroit pour mettre une école ». Également, le futur projet Royalmount à Ville-Mont-Royal, qui fait beaucoup parler dans les médias ces derniers temps, a été réfléchi en vase clos en minimisant les impacts négatifs sur le transport et les activités commerciales autour. Le contre-exemple type présente des lacunes sur le plan de la représentation de tous les acteurs et qui manque de leadership en matière d’aménagement de l’espace public.


[3] Barnett, Jonathan. 1974. Urban design as public policy. Practical methods for improving cities. New York: Architectural record Books.

[4]Photographie en provenance de l’article sur https://www.canadian-architects.com/fr/waa-montreal/project/quartier-international-de-montreal-qim