L’histoire d’une vilaine petite goutte d’eau (Prévenir ou guérir?)
Voici l’histoire d’une vilaine petite goutte d’eau qui s’était retrouvée séparée de ses consœurs lors d’une précipitation de pluie abondante: Entraînée par le courant, descendant la pente abrupte d’une façade, elle se sentit soudain attirée par le vide et tomba dans un trou. Plop! Soudain, elle se retrouva dans le noir, incapable d’identifier la sortie ! Elle s’écoula tant bien que mal jusqu’au premier obstacle qu’elle rencontra : c’était une pièce de bois noircie. Fait encore plus surprenant, elle entendit de nombreuses voix qui chantaient « Bienvenue ! » (C’étaient d’autres gouttes d’eau, plus âgées, qui s’étaient retrouvées prisonnières au même endroit!). Celles-ci lui expliquèrent alors qu’aucune sortie n’était prévue pour retourner à l’extérieur mais que malgré tout, l’endroit était assez douillet, car il était tapissé mur à mur de fibres roses... Cependant, l’une des gouttes plus vieilles lui expliqua qu’il fallait éviter de se faire contaminer par des bactéries cannibales et microscopiques capables de faire pourrir le bois… et de leur faire à elles, gentilles gouttes d’eau, une terrible réputation ! Mais comment échapper aux bactéries, dans cet espace obscur, non drainé et mal ventilé ?
Et maintenant, la version scientifique de l’histoire.
L’eau de pluie s’infiltre par des joints ou microfissures dans les façades ou encore par des manques dans le scellant autour des ouvertures. Elle pénètre ainsi derrière le parement. En l’absence d’un espace d’air vide et drainé vers l’extérieur, l’eau y demeure emprisonnée. Contrairement à la croyance populaire, le scellant (calfeutrage) n’est pas la barrière primaire d’étanchéité : c’est la barrière secondaire. Il faut que le panneau intermédiaire du mur et le contour des ouvertures soient protégés par un solin afin d’empêcher l’eau d’atteindre l’intérieur de la cavité murale. Il faut également que le panneau intermédiaire soit protégé par une pellicule pare-intempérie étanche (qu’on appelle à tort « pare-air »).
Lorsque l’eau atteint l’intérieur de la cavité murale, le taux d’humidité devient anormalement élevé et des micro champignons se développent et détruisent la cellulose du bois. Le bois pourrit. Les moisissures prolifèrent, entraînant la dégradation de la qualité de l’air intérieur. La pourriture entraîne la perte de résistance mécanique de l’ossature des bâtiments en bois. Les dommages structuraux peuvent, dans les pires scénarios, entraîner l’effondrement de la structure.
Le « principe de l’écran pare-pluie » est assez simple finalement : permettre à l’eau infiltrée derrière le parement de retourner à l’extérieur plutôt que de causer des dommages à l’intérieur. Un exemple bien connu de ce principe touche les parements de maçonnerie : il y a normalement derrière ces parements un espace d’air qui se draine à la base par des joints vides qu’on appelle «chantepleures».

Fonctions de l’enveloppe du bâtiment- Image: Société d’Habitation du Québec
Prévenir ou guérir ?
Dans le contexte de la médecine, il est facile de comprendre que manger moins gras, ne pas fumer et faire de l’exercice permettent d’empêcher le développement de bon nombre de maladies et de vivre plus longtemps. Mais qu’en est-il dans le domaine du bâtiment ? Et plus spécifiquement, du bâtiment détenu en copropriété ? L’entretien périodique de l’enveloppe du bâtiment permet-il d’éviter que des pathologies dangereuses se développent dans des parties non visibles et s’aggravent au fil des années ?
L’expérience démontre que d’investir de petites sommes régulièrement dans l’entretien et la prévention, permet d’éviter des réparations majeures nécessitant la levée de cotisations spéciales. Et si je vous posais bêtement la question : « Aimez-vous payer plus ou moins ? » vous me répondriez surement « Moins! ». C’est ce qu’un programme d’entretien permet de réaliser dans les faits.
L’après-réception des parties communes
Les systèmes mécaniques et électriques, les ascenseurs et l’enveloppe du bâtiment (toit, murs extérieurs, fondations, espaces communs) sont usuellement inspectés après la prise de possession du bâtiment. La réception des parties communes par le syndicat de copropriété et son mandataire, expert en construction, est donc le point de départ, le moment zéro de l’inspection du bâtiment. Cet expert remettra au syndicat un Certificat d’état de l’immeuble qui détaille toutes les déficiences et non-conformités aux règlements de construction en vigueur au moment de la construction (attention aux rapports qui n’incluent pas la vérification de la conformité des travaux aux codes applicables et qui ne font seulement qu’un examen visuel!).
À partir de ce moment, il sera essentiel pour le syndicat de faire le suivi de toute déficience et réparation dans un carnet d’entretien organisé chronologiquement afin de documenter chaque travail de réparation effectué sur le bâtiment, et de planifier les travaux à venir en fonction du vieillissement des composantes du bâtiment. C’est également un outil très utile à transmettre aux prochains administrateurs pour leur faciliter la tâche.
L’entretien à court et à long terme
Malheureusement, il n’est pas rare de voir des syndicats qui sont diligents sur l’opération courante des composants mécaniques (par exemple bien pourvu de contrats d’entretien pour les ascenseurs, gicleurs et ventilateurs) alors que l’inspection de l’enveloppe extérieure du bâtiment n’a pas été effectuée depuis des années, et dans certains cas, depuis la prise de possession initiale. Évidemment, une infiltration lente dérange moins qu’un bris d’ascenseur. Mais parfois, c’est une bombe à retardement…
Pour les bâtiments plus âgés, pour lesquels il n’y a même pas de document existant sur la réception initiale, le problème est encore plus aigu. En effet, pour faire des prédictions d’entretien, il serait utile de connaitre la date de mise en place des matériaux.
-Le toit a-t-il été refait il y a 5, 10, 15 ans ou jamais ? Au moment de la réfection de la membrane du toit, a-t-on posé la nouvelle sur l’ancienne ?
-A-t-on retiré la membrane jusqu’au pontage? Comment cela a-t-il été réalisé ?
-Où est le devis des travaux? La facture?
-Le calfeutrage remonte-t-il à la construction initiale ou a-t-il été refait en tout ou en partie et à quelle date ? Quel produit a été utilisé ?
-Y’ a-t-il déjà eu une inspection des portes et fenêtres? Des travaux d’entretien ou de remplacement ?
À mesure que les composantes de l’enveloppe du bâtiment avancent en âge (on dit qu’elles approchent de la fin de leur cycle de vie), une vérification régulière permet de déclencher des réparations au moment opportun avant que le point de non-retour ne soit franchi. Ainsi, la toiture devrait faire l’objet d’une inspection annuelle. Les avaloirs (drains), les solins apparents, les évents et la membrane devraient être vérifiés parce que sur le toit, les risques de dommages sont plus grands. Le scellement (calfeutrage) devrait être vérifié tous les cinq ans si le produit de scellement utilisé est de bonne qualité. Les portes et fenêtres devraient être entretenues tous les dix ans : les volets devraient être ajustés et lubrifiés, les coupe-froids remplacés (même s’ils ont l’air corrects).
Il est toujours préférable de faire effectuer des inspections périodiques par des experts qui n’ont rien à vendre (que leurs services) plutôt que des inspections partielles par des entrepreneurs spécialisés qui pourraient être tentés de vous proposer des remplacements hâtifs de composantes (parfois afin d’éponger le coût de leur inspection dite « gratuite »).
Bref, plus le bâtiment vieillit, plus il doit être inspecté régulièrement. L’analogie avec le corps humain est encore ici manifeste !
Historique des signalements et usage des parties privatives
Il est toujours utile de comprendre l’évolution des vices de construction en analysant les signalements que les copropriétaires ont pu faire au syndicat au fil des années.
-Quel est l’historique de ces signalements d’infiltrations d’eau ou d’apparition de problématiques liées aux parties communes et donc engageant la responsabilité du syndicat ?
-Ces signalements devraient apparaitre au Carnet d’entretien. Où étaient situées les problématiques?
-Étaient-elles en relation avec la façade recevant les vents dominants et donc le plus de précipitations ?
-Étaient-elles en relation avec les mêmes composantes qui ont fait défaillance prématurément ?
-Et plus délicatement, l’usage des parties privatives peut-il avoir eu un impact négatif sur l’enveloppe du bâtiment (partie commune)? Par exemple, par le maintien d’un taux d’humidité anormalement élevé à l’intérieur de l’unité de copropriété ?
Un problème récurrent indique peut-être un mauvais diagnostic initial d’une problématique de construction. S’il faut reprendre l’analyse depuis le début, ces données (carnet et historique des signalements) seront précieuses.
Comme nous le savons tous, les administrateurs passent, mais les écrits restent.
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Jean-François Lavigne, Architecte associé chez ZΛRΛTÉ LΛVIGNE Architectes.
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