Comment gérer les dépassements de coûts ?

La hausse des coûts de construction durant la pandémie a sévèrement affecté plusieurs syndicats de copropriété qui avait planifié des travaux de maintien d’actif ou de rénovation.
Cet article propose des approches de contrôle des coûts de construction, avant, pendant et après la signature d’un contrat, afin de faire un choix avisé, car il existe plusieurs stratégies possibles : réévaluer le coût des travaux, réduire la portée des travaux ou en reporter certains, renégocier ou annuler le contrat de construction.
Une année incomparable
Cette année, le prix du bois d’œuvre s’est envolé avec des hausses atteignant 300 %. L’acier de charpente et l’acier léger sont en forte hausse. Mais toutes ces augmentations soudaines ne pourront que plafonner à mesure que les chaines d’approvisionnement et de transport reviennent à la normale (vous remarquez que j’ai utilisé le mot plafonner et non le mot diminuer).
Par contre, d’autres facteurs influencent la hausse soudaine des coûts de construction. La rénovation est plus que jamais populaire et le budget « voyages » devient disponible. La pénurie de main-d’œuvre dans certains corps de métier (notamment les maçons), pousse à la hausse les contrats. Les grands travaux d’infrastructure ont un impact certain sur le coût des plus petits projets (coûts de coffrage et du béton). Et finalement, la cupidité a souvent rendez-vous avec la volatilité: tout le monde charge plus cher, alors pourquoi pas moi ?
La cupidité a souvent rendez-vous avec la volatilité: tout le monde charge plus cher, alors pourquoi pas moi ?
Finalement, on s’est rendu compte que la hausse des coûts de construction résultant directement des mesures sanitaires que les entrepreneurs ont dû prendre au chantier était peu significative (autour de 5 %). Pour les entrepreneurs, modifier les pratiques au chantier s’est avéré plus facile à faire que prévu. Il a fallu fournir un lavabo temporaire et des masques et maintenir un registre des allées et venues, mais dans l’ensemble, ces exigences temporaires ont peu ralenti l’exécution des travaux. La pandémie a le dos large, mais la construction a surtout subit l’impact des fermetures d’usine suite à des éclosions qu’à des fermetures de chantier pour les mêmes raisons.
Évaluer et réévaluer
Dans le but d’éviter aux administrateurs une crise cardiaque soudaine, il est primordial avant de demander des soumissions, de bien calculer le coût estimé des travaux. Cette donnée est d’ailleurs essentielle dans le cadre d’un processus de cotisation spéciale.
Trop souvent, ce sont les administrateurs eux-mêmes qui fixent le montant approximatif à dépenser, sans avoir au préalable défini clairement l’étendue (ou la portée) des travaux. Peu de syndicats disposent d’un administrateur expérimenté dans le domaine de la construction pour les conseiller à l’interne. Ce n’est pas non plus le rôle du gestionnaire de copropriété.
En cas de situation exceptionnelle, comme celle que l’on vit présentement, le budget des travaux qui a été établi il y a un ou deux ans (et possiblement utilisé pour cotiser) ne tient pas compte de la hausse soudaine des coûts de construction. Il faut donc avant de se lancer dans un appel d’offres réévaluer le budget avec rigueur et précision.
Réduire la portée des travaux
À la suite de l’analyse du budget, si l’on désire maintenir le montant convenu initialement pour les dépenses, mais que l’on se rend compte d’un risque important de dépassement de coût, il est toujours possible de réduire la portée des travaux.
La portée des travaux, c’est la liste détaillée des travaux requis qui sera transmise aux entreprises soumissionnaires. C’est le moment d’examiner chaque travail requis en fonction du critère d’urgence pour le maintien d’actif (réparations urgentes et qui ne peuvent être remises au risque d’engendrer des coûts encore plus importants). Il y aura des choix difficiles à faire, car certains travaux ne seront pas visibles à ceux qui les auront payés(exemple : membrane de toiture). D’autres travaux qui auraient été immédiatement visibles aux copropriétaires devront vraisemblablement être reportés (exemple : la modernisation du hall d’entrée et des corridors communs).
Ce n’est pas à l’entrepreneur de déterminer les besoins du syndicat !
Et si vous invitez des entrepreneurs à soumissionner sur des instructions verbales et sans portée des travaux écrite et détaillée, je vous souhaite bonne chance, car le montant des soumissions variera énormément selon l’interprétation de chaque soumissionnaire. En règle générale, ce n’est pas à l’entrepreneur de déterminer les besoins du syndicat ! Dans le doute, faites-vous aider par un professionnel pour rédiger la portée des travaux. Cela vous évitera d’avoir recours à un expert pour démêler des soumissions toutes croches…
Reporter certains travaux
Toujours à la suite de cette analyse du budget approuvé, certains postes de dépense peuvent être reportés d’une ou de plusieurs années. Les hausses vertigineuses du prix des matériaux finiront par se stabiliser.
Par exemple, les travaux qui n’ont qu’un impact esthétique peuvent être retardés sans préjudice. Les arbres morts et haies desséchées peuvent toujours attendre, mais pas les infiltrations d’eau à travers l’enveloppe du bâtiment ! Les tapis défraîchis peuvent continuer de défraîchir sans impact majeur. Tous ces choix peuvent être faits de façon éclairée afin d’alléger le budget avant d’aller en appel d’offres et de signer tout contrat.
Renégocier le contrat
C’est lorsque le contrat de construction est déjà signé avec une entreprise que la situation se corse. Le prestataire de services ne peut résilier le contrat unilatéralement en général. Il est tenu de l’exécuter.
Un contrat à prix forfaitaire peut devenir un piège pour un fournisseur qui n’a pas de clause d’annulation ou de modification en cas de force majeure. L’entrepreneur peut toujours demander au syndicat une hausse du montant du contrat déjà convenu, mais le syndicat n’est pas obligé de l’accepter. Par contre, si le syndicat refuse et que l’entrepreneur déguerpit, le syndicat aura de la difficulté à faire exécuter ou compléter des travaux qui auraient pu être prioritaires. De plus, il devra exercer un recours contre l’entrepreneur, si en raison de cet état de fait, le bâtiment subit des dommages. Un tel recours peut prendre des années avant d’être résolu.
Un contrat de type « temps + matériel » sera plus facile à examiner lors d’une période où les coûts sont à la hausse. En effet, dans tous les immeubles en copropriété, les travailleurs doivent être accrédités CCQ (sous la juridiction de la Commission de la construction du Québec) et les taux horaires ne sont indexés à la hausse qu’annuellement (même en cas de récession, mais ça c’est un autre sujet !). La hausse du budget prévu devrait donc être attribuable à l’augmentation réelle du coût des matériaux et de celui, plus stable, de la main d’œuvre.
Lorsque le contrat comporte beaucoup de matériaux neufs, une analyse du type et de la quantité de matériaux est nécessaire pour comprendre d’où provient une hausse justifiée du budget prévu. Dans ce cas, le recours à un expert en construction indépendante sera bien avisé (architecte, ingénieur, évaluateur agréé, estimateur). Lorsque le syndicat et l’entrepreneur agissent de bonne foi et avec des informations transparentes, il est toujours possible de s’entendre.
Annuler le contrat
En désespoir de cause, lorsqu’un syndicat ne peut arriver à une entente avec son fournisseur de services, il lui reste l’annulation du contrat. Dans ce cas, le recours à votre conseiller juridique (avocat) sera incontournable.
Zaraté Lavigne propose son expertise-conseil, suivez ce lien pour en savoir plus.
Jean-François Lavigne, Architecte associé chez ZΛRΛTÉ LΛVIGNE Architectes.
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